« Enfin du neuf en cuisine : le haricot à peine cuit à l’eau »
(Gault et Millaut : « le guide de la nouvelle cuisine », 1974)
Prenez un interne, ni trop jeune, ni trop vieux, encore vert mais présentant quelques ridules commençant à traduire un début de maturité. Confiez lui une femme enceinte, une femme à qui l’on doit faire une césarienne d’indication classique. Enfermez les tous les 2 dans une salle d’opération et observez (à la campagne vous serez obligé d’assister).
L’interne se saisira du bistouri puis incisera la peau d’un geste violent généralement. Le but est de ne pratiquement pas voir le geste : il tient le bistouri vous clignez de l’œil, il tient toujours le bistouri mais la peau est incisée… banzaï
Il posera le bistouri puis se jettera à mains nues sur la cicatrice qu’il déchiquettera jusqu’à voir l’aponévrose en laissant s’écouler le jus sous cutané, hémato-graisseux. Peut-être l’infirmière instrumentiste aura-t-elle le temps de l’aspirer avant qu’il ne bave sur les champs mais déjà…
….Il reprendra le bistouri pour inciser l’aponévrose très rapidement puis il réalisera un dépeçage aponévrotique-musculaire aussi physique que rapide mais nos jeunes internes sont de la génération Mac Donald : grands et solides « full metal jacket »
Le temps d’une inspiration il est sur l’utérus mais vous ne voyez rien tout au fond d’un trou sanglant, vous avez à peine le temps d’apercevoir cet utérus que déjà il se ressaisit du bistouri et incise l’utérus. Il plonge la main dans une plaie béante, remue à droite à gauche, vous demande de pousser fort sur le ventre et sort le plus vite possible un bébé qui n’a pas le temps de crier qu’il est déjà confié à la sage-femme; c’est déjà l’éducation qui commence, on arrive à l’heure et on embête pas les docteurs.
Il replonge la main dans le ventre sort un morceau de placenta, replonge à nouveau, ressort des morceaux, s’essuie la main sur les champs comme les enfants qui ont les doigts pleins de danette chocolat avec leur 4 heures
On sort l’utérus, c’est plus esthétique, surtout que ça permet au père, qui généralement quitte à ce moment la salle d’opération sous la direction de la sage-femme de constater d’un regard furtif que sa femme « elle en a dans le ventre ».
Alors l’interne se saisit d’un fil. Deux constatations s’imposent :
. L’interne ne connaît que le surjet… les points séparés ? « ouais ça existait, mon père qu’était chirurgien etc … »
. Trois fois sur quatre l’interne reprend son aiguille avec les doigts.. les pincettes c’est un truc d’acrobate chinois… on n’est pas chez Arlette Gruss…
Donc 2 surjets (2 temps c’est une marche … pour les quelques gynécos qui s’intéressent encore à la musique… pour les autres on dira que c’est techno..) un surjet sur l’utérus (durée 1 minute) un surjet sur l’aponévrose (durée 1 minute) et vite surtout des agrafes…
A l’avant dernière agrafe l’interne regarde la montre… il homologue son temps
Maladroitement vous osez un « Ah c’est comme ça qu’on vous apprend maintenant à la capitale ? de notre temps etc… » (vous avez le choix : technique « non touch », « toute chirurgie doit être esthétique », « il faut traiter toute patiente comme sa propre épouse » et bien d’autre aphorismes anciens) … l’autre vous regardera avec un sourire indulgent « vous avez lu la dernière publi dans l’American à propos de 78 344 césariennes réalisées à San Francisco par l’équipe du Pr Ortengrowitz.. ? »
Euh bien …justement c’est l’article que vous aviez l’intention de lire prochainement (d’ailleurs vous dormez toujours sur une pile d’American quand vous êtes de garde… à cause du sommier complètement défoncé dans la chambre de garde qui vous flanque un torticolis, enfin.. bon mais pour l’instant vous ne l’avez pas lu mais c’est sûr ça ne saurait tarder…). « Pourquoi ? – Ben il montre (avec un p < 0,000005 que le seul critère qui change quèque chose aux suites c’est l’âge du chirurgien, surtout passé 45 ans… – …… »
En résumé : la nouvelle césarienne, celle qui marche, celle qui fait jeune, c’est la césarienne bouchère