Fin septembre 2006 fût éprouvant pour le Dr G qui cette année, voulut consacrer une semaine à son recyclage.
Trois réunions en quelques jours…. Dans la capitale (NDLR alsacienne) tout d’abord… Tout allait bien, il auditait parmi les auditeurs pendant que les orateurs de problème orataient… Chaque chose à sa place et les poules seront bien gardées dit-on… Quand son électroencéphalogramme se mit en alerte. Le conférencier venait d’affirmer qu’il appartenait au médecin et donc potentiellement au Dr G de signaler aux couples dont le conjoint (masculin) était relativement âgé alors que le conjoint (féminin) était encore jeune puisque présumée fertile, bref il appartenait au Dr G de signaler à ce couple que non seulement le dit couple risquait d’avoir du mal à concevoir, mais encore qu’il risquait de concevoir un trisomique du fait de l’avancée en âge du conjoint (masculin). Il en allait de la qualité de l’information délivrée au patient
« faute de quoi en cas de problème … ».
L’orateur n’avait pas achevé sa phrase, mais il avait bien précisé auparavant que, s’il ne faisait plus que quelques rares consultations, il était 47 par contre directeur de recherche et expert HAS… mais on a surtout entendu le mot expert…
A la pause, le Dr G s’imaginait en situation d’apporter ladite information loyale, éclairée et compréhensible aux femmes. Quand elles viennent enceintes, il sera trop tard… quand elles consultent pour la pilule :
« madame fréquentez vous un sénior?» ou peut-on envisager une information dans les lycées? « mesdemoiselles méfiez vous des vieux !» Et quand bien même, que dire? Le Dr G essaie de se souvenir de quelques couples discordants qu’il a été amené à rencontrer professionnellement, pour l’instant en cours de grossesse, qu’aurait il pu leur dire lors d’une hypothétique consultation préconceptionnelle?
– Maître M, ancien bâtonnier du parquet de P en retraite, Officier de la Légion d’Honneur, Palmes Académiques, Membre du Comité… j’ai le regret de signaler à votre jeune, très jeune concubine que son projet d’avoir un enfant de vos oeuvres risque non seulement d’être une chi- mère de votre fait et en particulier d’une certaine asthénie (le bâtonnier fronce des sourcils)… qui ne concerne que vos spermatozoïdes bien sûr (il sourit)… mais que de plus, le fruit hypothétique de cette union risque de vous apporter le malheur d’un enfant trisomique.
– Monsieur le Dr G, j’entends bien vos arguments, mais que faites vous de l’ICSI et du DPI ?… vous n’y êtes pas du tout… nous sommes deux des rares patients de « l’expert qui fait encore des consultations » dont vous devriez avoir entendu parler. Si nous venons vous voir aujourd’hui c’est juste pour vous demander votre accord pour réaliser les échographies de week-end de mon épouse et les communiquer par fax au centre FIV du Pr X… car nous passons souvent nos weekend en Alsace… que nous apprécions beaucoup pour ses forêts et ses chasses… il serait trop fatiguant pour ma compagne de faire l’aller-retour en avion le samedi… Le Dr G se dit qu’il avait échappé à bon compte au couple du bâtonnier quand il vit arriver une femme encore jeune qui venait de connaître sa première félicité biblique avec un monsieur du type papy jovial.
Là, le Dr G attaque franchement l’information :
– Madame, vous venez de rencontrer assez tard votre premier amour et apparemment cela ne vous suffit pas. Souhaitez-vous risquer la désillusion d’un souhait d’enfant qui peut ne jamais se concrétiser, ou alors sous la forme d’un trisomique que vous devrez vous résoudre à avorter (et je vois que cela vous fera mal) car il ne pourra pas espérer le soutien de son père pendant les 50 ans qui représente l’espérance de vie actuelle d’un trisomique?
La patiente fond en larme :
– Alors il n’y a aucune possibilité que je sois enceinte?
– Euh, je n’ai jamais dit ça tout ça vous savez c’est statistique…
– Alors c’est possible?
– C’est possible mais c’est statistique… oh puis zut! je suis pas là pour vous dire ce que vous devez faire…
Et M. Ahmed C, grisonnant, la moustache fine, la soixantaine plutôt élégante avec sa jeune femme de 22 ans qui arrive du Maghreb, même qu’on sait pas du tout ce qu’elle dit. Le Dr G tente l’information médicale… M. Ahmed sourit finement sous sa moustache.
– Je vous remercie Dr G pour ces renseignements mais de toute façon elle ne comprend pas et comme on dit chez nous : « chaque chose à sa place et les chèvres seront bien gardées »
– (Petit rire du Dr G) je la connaissais mais pas avec des chèvres… Bref l’heure de la pause ayant passé, le Dr G retourne à sa place, l’orateur suivant est une oratrice. Le message est clair : « il ne serait pas éthique de ne pas faire d’enquête génétique à des couples infertiles pour raison masculine car ils risquent très bien de transmettre leur infertilité ».
Là, le Dr G se sentirait plus à l’aise dans le discours : « Un enfant? Avez vous pensé qu’il pourrait être comme vous ? » simple, tout le monde comprend… encore que, le petit couple de gens très très simples du point de vue compréhension, sans ressource financière, que tout le service social du fond de vallée connaît par coeur, il ne serait pas éthique du tout de leur faire remarquer que compte tenu des conditions psychosociales leur enfant risque de leur ressembler… bref l’éthique n’est pas une belle
ligne droite, elle ressemble plutôt à un sentier corse, elle prend un virage pour la génétique qu’elle ne prend pas pour le psychosocial. Quelques jours plus tard le Dr G se trouvait dans son arrondissement à un genre d’apéritif médical auquel il avait complaisamment prêté son concours. On parlait de dépistage de lésions du col de l’utérus quand le médecin assurant le « sponsoring » de la soirée dit :
– Il n’est pas normal qu’on n’informe pas systématiquement la patiente de l’existence de ce test très intéressant même s’il n’est pas remboursé…la patiente peut choisir de le payer elle-même. Après tout, pourquoi pas, se dit le Dr G, qui quelques fois « signale » des thérapies non remboursées.
Mais ce n’était pas tout, au repas qui suivait le même disait:
– Si un cancer invasif devait survenir chez une patiente dont le frottis était normal, mais qu’on n’aurait pas informé de l’existence de cet exa- men plus sensible qu’est le typage viral et qu’elle porte plainte… je ne sais pas ce qui se passerait… Le Dr G avait une petite idée de ce qui se passerait et au regard gourmand du collègue il se doutait que le labo avait aussi une petite idée…
Bref, le Dr G sortit de table en se disant qu’il avait négligé le recyclage ces derniers temps (mais jusqu’à quel âge est-on vraiment recyclable ?), que la médecine tournait de plus en plus vite les pages… qu’à peine avait-on créé l’éthique de soin, qu’on s’attaquait à l’éthique de la prévision et peut-être de la divination… il y a certes là une ouverture pour une plaisanterie facile sur Elisabeth Teissier qu’on pourrait peut-être faire rentrer au Conseil National d’Ethique, mais il paraît qu’elle est déjà trop occupée par les cours qu’elle donne à la faculté. Heureusement, la semaine de formation du Dr G n’était pas finie. L’attendait encore LE congrès international.
Un congrès international, voyez vous, c’est gai comme un dimanche après midi d’hiver à Londres. Vous hantez de larges couloirs traversés par des petits groupes d’individus pressés de s’engouffrer dans des salles où se tiennent de mornes débats dans la langue de Shakespeare aussi passionnants que ceux de la chambre des communes (qui pourtant n’ont pas lieu le dimanche). Certes il existe bien quelques endroits plus vivants comme certains Pubs, mais difficiles à trouver, et que les organisateurs omettent de signaler (à quand un petit guide avec des rubriques style : « si vous voulez faire la sieste dans une salle climatisée » ou « si vous voulez apprendre quelque chose »).
Bref, le Dr G a retenu de ce congrès un concept très novateur, celui qui vous permettra de poser l’indication d’une chirurgie au résultat incertain chez une patiente qui ne se plaint de rien, celui du « vaginal lifting ». Par contre il n’a pas compris s’il était déjà éthique ou pas encore de signaler à la patiente que son vagin était vraiment dysesthétique… ce qui se passerait si elle faisait une dépression sévère, voire plus…, après que son conjoint l’ait quitté alors qu’elle venait de faire un contrôle gynécologique où son infirmité ne lui avait pas été clairement exposée par un gynécologue trop négligent et pas assez éthique… Sans compter que le lifting discordants vaginal pourrait être une médecine préventive en ce qui concerne les couples discordants. Ainsi le bâton- nier en question serait peut-être encore avec sa première épouse si… Bon, ceux qui n’ont pas suivi peuvent reprendre depuis le début…
Car c’est ainsi que la médecine est grande…
Dr G, novembre 2006